Homme peignant un mur

Un centre d’appels entre les murs

Paru le 03 mars 2021

Qui parmi nous sait si les personnes détenues travaillent, ce qu’elles fontcomme métier et ce qu’elles apprennent pendant la prison. Le travail en prison – ou travail pénitentiaire – reste un espace largement méconnu !

 

Et pourtant, de nombreuses activités réalisées en prison mériteraient d’être connues, visibles et racontées. C’est le cas du centre d’appels installé au centre pénitentiaire de Nantes depuis 2009, qui emploie une dizaine de personnes détenues sur le métier de téléopérateur.

 

« Notre métier est le même que n’importe quel centre d’appels », explique le responsable du centre Xavier Girardot. « Nous offrons au client la même qualité de service, même si nous travaillons depuis la prison ». Un callcenter comme un autre, à une différence près, la mission n’est pas la même. L’objectif principal de Xavier et de son équipe n’est pas de maximiser les profits, mais de prévenir la récidive, en permettant aux personnes qu’il emploie d’acquérir des compétences, des codes de l’entreprise, des savoir-faire. « Tous ne travailleront pas dans un centre d’appels à leur sortie de prison », précise le responsable, « mais cette activité leur permet d’acquérir un langage professionnel, une aisance dans la relation et même des techniques commerciales qui leur seront très utiles à la sortie ».

 

Pour en savoir plus : la plaquette de présentation du centre d’appels

 

Des téléopérateurs motivés et outillés

 

Au centre d’appel de Nantes, les téléopérateurs s’impliquent dans la durée. Le turnover y est beaucoup moins fort qu’ailleurs, puisque les employés y restent entre 6 mois et 4 ans. Ce rythme permet à l’équipe d’investir davantage sur la formation et la montée en compétence des opérateurs. « Pour chaque nouvel équipier qui nous rejoint, on assure un accompagnement personnalisé sur 3 à 4 semaines. Ils reçoivent une formation sur le langage et on écoute beaucoup leurs premiers appels pour les aider à ajuster ». C’est le rôle de la superviseuse, Vera Jolibois.

 

Pour intégrer l’équipe du centre d’appels, les critères sont simples. Il faut savoir lire et savoir parler avec une certaine fluidité. Mais plus que tout, il faut être motivé et volontaire, un besoin incontournable, lorsqu’il faut décrocher son téléphone plusieurs dizaines de fois par jour.

 

“ Mon travail au centre d’appel, c’est une ouverture vers l’extérieur qui n’existe pas ailleurs en prison et qui me permet de rester dans la réalité de la vie professionnelle”, partage ainsi l’un des opérateurs du centre d’appels.

 

Chaque opérateur est équipé d’un téléphone et d’un ordinateur relié à un logiciel. Les scripts défilent sur l’écran… mais les opérateurs ne les lisent pas toujours ! « Nos opérateurs rentrent dans une véritable interaction avec le client, ils prennent le temps de le connaître. Le client a moins l’impression d’avoir un opérateur à la chaîne au bout du fil ». Et le pari fonctionne : le taux de transformation de ce callcenter est supérieure à la moyenne. Un choix stratégique, qui a amené le centre à se consacrer entièrement au B2B et à privilégier la qualité sur la quantité. C’est par exemple l’un des rares callcenter à ne pas pratiquer le management par les chiffres.

 

Produit en prison, un argument de vente supplémentaire

 

Lorsqu’on lui demande si la singularité pénitentiaire de son activité ne fait pas fuir les clients, Xavier est formel, c’est plutôt le contraire ! « Evidemment, la première fois qu’ils viennent nous voir nos partenaires sont surpris. Ils imaginaient voir des gens habillés en orange qui mettent des boîtes dans des boîtes et ils trouvent un espace très professionnalisés ». Mais une fois la surprise passée, le retour des clients est très positif.

 

Ideo Experts, un cabinet de conseil breton qui accompagne les TPE du secteur du bâtiment sur leur stratégie de développement, est très satisfait de cette collaboration qui dure depuis maintenant 3 ans. “Au départ, on a sollicité le centre d’appels pour nous aider à trouver de nouveaux clients”, partage Frédéric Joly-Boscher, le fondateur et dirigeant du cabinet. “La collaboration s’est tellement bien passé que l’ATIGIP est devenue un véritable partenaire que nous avons intégré à notre offre.” Le cabinet confie ainsi au centre d’appel de Nantes les campagnes de prospection qu’il réalise pour le compte des entreprises clientes : des petites entreprises du BTP. Les téléopérateurs contactent des cabinets d’architecte, des syndics… et donnent pleine satisfaction. “Les téléopérateurs s’expriment bien, ils ne lisent pas un script mais engagent un véritable échange avec l’interlocuteur. Et comme ils commencent dès 7h30, ils tombent facilement sur des décideurs, ça fonctionne très bien”, ajoute le dirigeant d’Ideo. Pour lui non plus, le fait que les opérateurs soient détenus ne pose aucun problème, bien au contraire : “Je dis à tous mes clients que les démarches de prospection sont faites depuis une prison et ils sont toujours très surpris… mais positivement !” Plusieurs clients du cabinet ont ainsi saisi l’occasion pour entrer en prison et échanger avec les opérateurs du centre d’appels sur leur entreprise et les objectifs de la campagne. Tous partagent l’avis de Frédéric : “C’est une façon de tendre une perche aux détenus, c’est une bouffée d’oxygène pour eux d’être en contact avec l’extérieur, et ils répondent avec beaucoup de professionnalisme.”

 

En effet, chaque partenaire a la possibilité d’entrer en détention, de se rendre sur le plateau pour présenter son entreprise et pour transmettre aux opérateurs ce qu’il attend de l’opération. C’est une spécificité forte par rapport au nombreux centre d’appels délocalisés à l’étranger et qui ne manque pas de séduire le client.

 

Autre point loin d’être négligeable, la dimension de l’engagement des entreprises. Dans un contexte de montée en puissance de la responsabilité sociétale des entreprises, où l’on demande aux organisations de muscler leur impact social et environnemental, l’argument fait mouche. Cette activité « made in France » qui emploie des personnes éloignées de l’emploi pour favoriser leur réinsertion a de quoi séduire. D’ailleurs, des centres d’appel de taille plus importante ont commencé à sous-traiter à Nantes une partie de leur activité pour améliorer leur impact social et leur image.

 

Des ateliers pénitentiaires dans de nombreux secteurs d’activité

 

Le centre d’appels de Nantes est l’un des 48 ateliers pénitentiaires gérés par l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle sur l’ensemble du territoire. A quelques mètres du callcenter, dans la même prison, on trouve un atelier de dessin assisté par ordinateur (D.A.O.) qui réalise notamment des plans de sécurité incendie. En Île-de-France (Melun), des personnes détenues font tourner une imprimerie et à Poissy, un studio de numérisation.

 

Les activités réalisées en détention sont diversifiées (menuiserie, confection, service aux entreprises…) mais elles poursuivent ce même objectif : favoriser la réinsertion professionnelle des personnes détenues pour mieux prévenir la récidive. Et par l’action, ces ateliers contribuent à changer le regard que la société porte sur les personnes condamnées. Pour aller plus loin, l’Agence du TIG et de l’insertion professionnelle a d’ailleurs créé le label « PeP.s : Produit en Prison.s » pour faire connaître et valoriser le travail pénitentiaire et les entreprises qui y contribuent dans des conditions inclusives et responsables.

 

Le travail pénitentiaire, c’est enfin une histoire d’engagement, de femmes et d’hommes qui agissent avec conviction et détermination pour soutenir l’insertion professionnelle. « J’ai quitté le monde des start-up il y a 18 ans parce que mon travail manquait un peu de sens », confie Xavier. « Avant mon premier entretien, je ne savais même pas qu’il y avait des personnes qui travaillaient en prison. J’ai visité un atelier pénitentiaire et j’ai trouvé ça génial, il y avait tellement à faire ! Depuis, chaque année est une nouvelle aventure, de nouveaux projets. Je n’ai pas perdu la flamme et je sais pourquoi je suis là ».